Le soulèvement du 17 octobre 2019 au Liban : Bilan et perspective

Le soulèvement du 17 octobre 2019 au Liban : Bilan et perspective


Mazen Houtait
Avocat, membre du Bureau politique du Parti communiste libanais
Clarté #49 – Janvier 2023


Le système politique existant au Liban joue un double rôle : d’une part, il est l’instrument de la domination impérialiste sur le Liban à travers la structure des rapports de production capitalistes et d’autre part, il est l’instrument de l’exploitation de classe pratiquée par la bourgeoisie locale sur les classes laborieuses. En automne 2019, la crise socio-économique a atteint son apogée. Durant ces développements dramatiques sans précédent depuis l’émergence de l’État libanais et de son système capitaliste libéral il y a cent ans, les partis formant le pouvoir se sont abstenus de prendre des mesures ou des initiatives concrètes pour faire face aux répercussions de la crise. Ils ont plutôt eu recours à des mesures superficielles et insuffisantes quant à la gravité de la situation. Ceci a provoqué l’explosion d’un soulèvement populaire et massif, comme le Liban n’en a pas connu auparavant.

Le soulèvement du 17 octobre 2019 a été un tournant fatidique sur l’arène politique libanaise. En effet, il s’agit d’une réponse populaire à l’effondrement systémique, à savoir financier, monétaire, économique et social. De plus, cette révolte s’inscrit plus largement dans la continuité d’un mouvement entamé durant la décennie 2010. Rappelons qu’il y a eu au Liban des vagues successives de protestations populaires qui ont coïncidé avec les soulèvements arabes de 2010. Le Parti communiste libanais a joué un rôle primordial dans la mobilisation de la rue ainsi que dans l’introduction de slogans identifiants la lutte des classes et mettant en avant les problématiques socio-économiques.

Les Libanais de tous âges, de toutes appartenances sociales et régionales sont descendus par centaines de milliers dans les rues et sur les places publiques. Ils ont réclamé un véritable changement politique, économique, social et culturel. De même, ils ont exigé le retour des fonds pillés par la coalition entre le régime politique et les banques.

Ce régime politique, au service des banques, a eu recours à toute sorte de mesures pour réprimer le soulèvement. Il a utilisé la police et l’armée ainsi que les milices confessionnelles des partis politiques au pouvoir. L’arme principale utilisée pour mettre fin à ce mouvement engageant toutes les classes sociales, toutes les religions et toutes les régions libanaises est de noircir l’image du soulèvement. En effet, les forces réactionnaires ont fait circuler un récit accusant les participants de trahison nationale et les qualifiant d’agents au service de pays étrangers. Alors qu’il n’est un secret pour personne que les vrais agents de l’étranger sont ces accusateurs même. Leur objectif est de faire subir les conséquences de la crise économique aux citoyens et aux dépositaires et par la même de se déresponsabiliser tout en gardant le contrôle sur le pouvoir.

En effet, les piliers du régime politique en collusion avec les banques n’ont pas œuvré en faveur d’une loi réglementant les mouvements de transferts de devises du Liban vers l’étranger, ce qui a facilité la poursuite des opérations de contrebande des banques au profit de la bourgeoisie. De même, l’enquête sur le krach financier a été délibérément sabotée pour protéger les élites impliquées dans la corruption politique et administrative et dans la contrebande de fonds publics et privés à l’étranger. En parallèle, à l’unanimité, le pouvoir a demandé l’intervention du FMI.

Aujourd’hui, à la lumière de la détérioration de la situation dans le pays à tous les niveaux, rappelons la nécessité d’une gouvernance nationale et démocratique sans interférences étrangères. Ainsi, dans un premier temps, il s’agit de mettre en place des changements de fond qui s’attaquent aux fondements de la structure économique et sociale et à la nature du système politique construit par la bourgeoisie. Dans un deuxième temps, il est impératif de réaliser de profondes réformes socio-économiques et politiques qui porteraient sur la structure même des rapports de production. Dès lors, il faut renforcer le caractère social de la production, atténuer les effets de l’accumulation du capital sur les travailleurs, renforcer les fonctions de l’État et réduire la portée des mécanismes de marché. En somme, s’attaquer au modèle capitaliste monopolistique dominant au Liban. Ceci serait possible en introduisant une planification économique. Finalement, au niveau politique, le gouvernement révolutionnaire à venir doit représenter la classe ouvrière, la petite-bourgeoise, les petits et moyens agriculteurs et industriels et les intellectuels progressistes.