Halte à la privatisation de l’éducation supérieure : non aux campus satellites !
Halte à la privatisation de l’éducation supérieure : non aux campus satellites !
Maxance Chouinard
redaction@journalclarte.ca
Clarté #59 – Octobre 2024
Un phénomène prend de l’ampleur dans les milieux collégial et universitaire au Québec depuis quelques années : l’implantation de campus satellites. Que ce soit un campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières à Drummondville ou bien le campus de Cégep de Valleyfield à Saint-Constant, ces campus secondaires semblent se multiplier à un rythme effréné. Un rapport du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) répertoriant l’offre de formation universitaire au Québec rapporte une augmentation de la part d’étudiants en équivalence au temps plein (EETP)* a augmentée de 2,8% de 2008 à 2021, une tendance en forte accélération depuis les 10 dernières années. En effet, alors qu’il existe 19 campus universitaires principaux au Québec, un chiffre inchangé depuis 1983, il n’existait que 14 campus universitaires secondaires en 2007. Ce chiffre grimpe à 25 en 2021 et il atteindra 38 en 2025. La situation dans le réseau collégial suit une tendance similaire alors qu’on ne comptait que 6 campus collégiaux satellites en 1984, ce chiffre ayant maintenant grimpé à 27 en 2024, sans signe d’essoufflement.
Les raisons présentées par les administrations universitaires et collégiales, ainsi que par les médias et politiciens bourgeois sont multiples : dynamiser les régions, promouvoir le développement économique, favoriser l’égalité des chances et bien d’autres. Cependant, une raison ressort principalement, celle de réduire la barrière de la distance pour les étudiants se trouvant loin d’un campus. Or, bien qu’en surface ces raisons puissent paraître convaincantes, une analyse plus approfondie de la situation tend à brosser un portrait moins flatteur des motifs économiques réels qui poussent vers cette tendance.
Alors qu’il est vrai que de 2020 à 2025, grâce aux campus satellites, un premier campus universitaire a été inauguré dans les régions du Centre-du-Québec et de Gaspésie-Îles-de-la-Madelaine, la très grande majorité des ouvertures de campus satellites se situe dans des régions où il existe déjà une offre de service en campus. Plus évocateur encore, de 2020 à 2025 toujours, sur un total de 17 campus satellites universitaires ouverts ou à ouvrir durant cette période, 9 d’entre eux ont ou seront ouverts dans la grande région métropolitaine de Montréal, soit plus de la moitié (53%). La situation dans le réseau collégial n’est guère plus charmante, alors que la course à la clientèle étudiante suit la même tendance. L’exemple du campus de Montréal du cégep de la Gaspésie et des Îles, qui recrute principalement des étudiants étrangers, est très évocateur du fait que l’expansion de l’offre n’est pas sincèrement pour favoriser l’accès à l’éducation.
Le fait que la majorité des campus satellites s’installe là où une offre de service est déjà présente dénote que l’intérêt premier derrières cette expansion est davantage d’augmenter la compétition entre les établissements d’études supérieures, plutôt que d’offrir une offre de service là où elle est absente et nécessaire. Cette dynamique de marché et de compétition sera, à terme, un obstacle à l’accès universel aux études supérieures. En effet, il est important de noter que le financement des cégeps et universités, ces entités parapubliques, dépend en grande partie du nombre d’étudiants inscrits. Ainsi, cette dynamique de compétition qui vise à aller chercher la plus grosse part du gâteau d’une même population étudiante entre les différentes universités et cégep mènera forcément à des gagnants et des perdants. Ces « perdants », possédant un nombre d’étudiant restreint, verront leur financement tout aussi restreint. Ce sous-financement mènera à une offre de service de plus en plus médiocre, ce qui sera alors un cercle vicieux menant à une réduction encore plus grande du nombre d’étudiants et ainsi de suite. Ces établissements d’étude seront alors présentés comme des fardeaux financiers par le gouvernement qui, sous des airs de violon, nous fera alors savoir qu’il n’y a d’autre choix que de vendre et privatiser entièrement ces établissements.
Les « gagnants » de cette compétition inter-établissement d’études supérieures verront leur nombre devenir de plus en plus faible car ils accapareront les parts de marchés cédées de force par les établissements perdants. De plus, un avantage déloyal existe déjà pour certaines universités qui offrent des programmes spécialisés, par exemple la médecine ou la recherche scientifique, car ces dernières monopolisent l’offre de ces programmes. Ainsi, l’université de Sherbrooke a-t-elle ouvert des campus satellites spécialisés en médecine à Saguenay, Longueuil et même Moncton, dénotant une volonté d’expansion extra-provinciale. Ces programmes spécialisés dont seule une poignée d’universités possède le monopole, assurera une clientèle étudiante nombreuse et récurrente, et donc des financements gouvernementaux nombreux et récurrents, pour ces universités, favorisant aussi la monopolisation.
Ainsi, la tendance actuelle à l’ouverture de campus satellites par les grands cégeps et universités n’est qu’une énième tentative à peine voilée par les milieux financiers de diminuer le financement public de ces établissements pour attaquer notre système d’éducation public et ultimement, le privatiser. Cette volonté de diminution du financement public est par ailleurs observable dans d’autres politiques gouvernementales, parfois camouflé sous l’égide chauvine de la « protection de la langue française ». À titre d’exemple, citons la hausse des frais pour étudiants hors Québec, discuté plus en détail dans le #54 de Clarté.
En conclusion, si la dynamique se maintient, le vrai gagnant de la compétition à laquelle se livrent ces établissements ne sera pas la population étudiante vivant loin d’un campus tel que présenté, non, ce sera la bourgeoisie! Celle-là même qui s’accaparera les services autrefois publics pour en tirer un maximum de profits et faire de l’éducation, ce droit essentiel et joyau collectif, une nouvelle marchandise à vendre uniquement à ceux qui peuvent se le permettre.
*EETP : Représente la charge normale d’études, mesurée en unités de cours, d’une personne fréquentant une université à temps plein au cours d’une année universitaire (30 crédits).