Loi sur l’équité salariale : 25 ans plus tard, une lutte féministe toujours inachevée
Loi sur l’équité salariale : 25 ans plus tard, une lutte féministe toujours inachevée
Manuel Johnson
redaction@journalclarte.ca
Clarté #50 – Mars 2023
Dans l’histoire du capitalisme, l’écart salarial entre les hommes et les femmes marque au fer rouge le mythe libéral de parfaite égalité dont le marché est censé nous bénir. En 1976, les sociaux-démocrates du Parti Québécois ont fait adopter la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, qui consacre un certain nombre de droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité. Ce sont les demandes de plus en plus fréquentes des syndicats d’inclure des mesures d’équité salariale dans la négociation des conventions collectives, qui débouche sur l’inclusion dans la Charte québécoise une interdiction de discrimination salariale fondée sur le genre. Malgré cela, les difficultés de faire respecter ce droit fondamental illustrent bien le fait que mettre des beaux principes dans le texte d’une loi ne changent pas nécessairement les circonstances objectives des personnes visées. En ce qui concerne les avancées pour la condition de la classe ouvrière, et notamment la classe ouvrière féminine, l’adoption d’une loi d’apparence progressiste n’est pas suffisante. Nous devons être en mesure de faire respecter les droits prétendument protégés par la loi, par des mécanismes d’application qui empêchent les patrons de faire obstacle à l’effectivité de nos droits.
Alors que l’interdiction de la discrimination salariale consacrée par la Charte québécoise a permis dans une certaine mesure aux femmes de faire respecter leur droit à l’égalité salariale – une paie égale pour une femme qui travaille dans le même poste qu’un homme – en exerçant de recours devant les tribunaux (ce qui n’est pas à l’accès de toutes) la question d’équité salariale demeurait entière. En effet, dans un système judiciaire comme le nôtre, fondé sur une conception bourgeoise du droit axé sur l’individu, il est beaucoup plus difficile de démontrer une inégalité systémique que d’avoir gain de cause dans un cas de discrimination précis. L’équité salariale impose une évaluation de chaque secteur d’emploi, pour déterminer dans quelle mesure les emplois typiquement occupés par des femmes, comme l’enseignement, les éducatrices de garderie, les infirmières, etc., étaient sous payés par rapport à des métiers requérant environ le même niveau de formation occupés par traditionnellement par les hommes. La preuve de discrimination systémique est ardue devant un tribunal habitué à limiter son enquête aux faits directement observés par l’individu qui témoigne.
20 ans après l’adoption de la Charte québécoise, et malgré son interdiction de discrimination salariale, les progrès avançaient à pas de tortue. Selon la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), « au milieu des années 1990, on estimait que les femmes ayant un emploi à temps complet recevaient, en moyenne, un salaire inférieur de 30% à celui des hommes au Québec. »
C’est ainsi que les femmes, principalement au sein des syndicats, mais aussi organisées plus largement dans le mouvement qui a donné naissance à la Marche du pain et des roses, dont une des revendications principales de sa mobilisation massive en 1995 était la reconnaissance de l’équité salariale, ont dû continuer la lutte pour obtenir la pleine égalité en matière d’emploi. Ces luttes ont poussé l’Assemblée nationale à adopter la Loi sur l’équité salariale en novembre 1996.
Ici, comme souvent, l’adoption de cette loi ne marquait pas la fin de la lutte, mais bien son début. La loi donnait un an aux employeurs d’égaliser la rémunération des catégories féminines à celle des catégories masculines au sein de la même entreprise. Mais, comment déterminer l’équité salariale dans une entreprise où il n’y a pas de catégorie masculine, comme les garderies? Encore une fois, professer des beaux principes par voie législative était relativement facile, mais comment appliquer la loi pour s’assurer que les femmes soient réellement payées égales que les hommes? Pour appliquer la loi, des
mécanismes devaient être prévus par voie réglementaire. Et les patrons faisaient des pressions énormes pour ralentir l’application de la loi, considérant que l’équité salariale réduirait leur taux de profit, ou bien, dans le secteur public, couterait trop cher aux coffres de l’état.
Face aux pressions patronales, le gouvernement péquiste des fins des années 1990 trainait les pieds. Pendant sept longues années, la Commission de l’équité salariale, une création de la loi de 1996, ne faisait absolument rien pour mettre en œuvre une application effective. Bien que la loi prévît des ajustements de salaire pour les milieux exclusivement féminins à partir de novembre 2001, sans un plan de mise en application de la Commission, cette date est venue et passée sans que rien ne change sur le terrain.
Le gouvernement libéral de Jean Charest est élu en avril 2003. Les syndicats des travailleuses et travailleurs en petite-enfance (CSN) finissent par adopter un mandat de grève de 3 jours en 2004 pour pouvoir négocier l’équité salariale à la table de négociation avec l’employeur. En 2005, la Commission sur l’équité salariale dépose enfin son règlement d’application de la loi. Excédées, de milliers de travailleuses de la petite enfance affiliées à la CSN manifestent devant les bureaux du ministre de la famille et devant l’Assemblée nationale, exigeant une entente sur la date d’application de l’équité. Devant le refus du ministre de négocier une entente d’application, les travailleuses déclenchent une grève de 7 jours en juin 2005.
Les grèves, les manifestations, et les recours judiciaires s’en suivent tout au cours des années subséquentes, car, l’application de la loi demeure partielle et insuffisante. Un règlement pour les sommes rétroactives dues aux travailleuses dans le secteur public est enfin négocié en 2008.
Depuis, des progrès sont observés, mais ils sont toujours insatisfaisants. Selon la CSQ, l’écart salarial horaire moyen entre les femmes et les hommes est passé de 16,5% et 9,9% entre 2000 et 2015. Les progrès les plus importants sont notés dans les milieux syndiqués, où ce même écart est passé de 7,97% à 2,16% pendant la même période.
Aujourd’hui, plus de 25 ans après l’adoption de la Loi sur l’équité salariale, on est toujours loin de la coupe aux lèvres : l’écart de rémunération horaire moyenne entre hommes et femmes est estimé à 9%. Soulignons le fait que sans la lutte menée avec acharnement par les femmes organisées dans les syndicats et dans le mouvement féministe, cet écart serait encore plus important aujourd’hui, malgré l’adoption de la loi. Car, ce n’est pas une loi qui change la condition des travailleuses et travailleurs. C’est la lutte, la luttes des classes, dont la loi est le pur produit. Cette lutte est toujours à refaire, sera toujours à refaire, jusqu’à cela que la grande majorité prenne les rênes pour s’assurer une réelle égalité pour toutes et tous.