Algérie : l’indépendance 60 ans plus tard…

Algérie : l’indépendance 60 ans plus tard…


Fatma Abdelkrim – collaboration spéciale
Clarté #47 – Août 2022


Le 5 juillet prochain marquera les 60 ans de l’indépendance de la République algérienne démocratique et populaire. Cette date cardinale, les cadres du régime actuel composé de renégats de la Charte de Tripoli, la célèbrent en grande pompe. Pour le peuple algérien cependant, le coeur n’est pas à la fête.

Pourtant, il y a 60 ans, les youyous fusaient et la liesse est généralisée. D’Alger à Tamanrasset, d’Adrar aux Aurès en passant par la Kabylie, ce peuple victime du colonialisme français depuis 1831 conquiert son indépendance au prix du sang de centaines de milliers, voire de millions de chouhadas après 8 ans de guerre de libération nationale contre le colonialisme français. Parmi eux, on ne peut faire l’économie d’Ali Lapointe, Ali Boumendjel, mais aussi de Maurice Audin, jeune communiste et professeur de mathématiques d’origine européenne. On ne peut non plus passer sous silence la contribution d’Henri Alleg, lui aussi Européen et communiste, qui a payé son engagement dans la lutte de Libération par la torture. Il en fait état dans le pamphlet La question, prouvant aux yeux du monde que cette pratique est monnaie courante même dans la France des Droits de l’Homme.

Après l’Indépendance, l’Algérie ne fléchit pas. Elle combat quelques mois après une guerre colonialiste l’invasion du Maroc qui cherche, en supplétif de la France, à faire main basse sur le Sahara algérien lors de la Guerre des sables. Même après le coup de Boumediène de 1965, l’Algérie procède à la nationalisation des hydrocarbures et à une réforme agraire. Dans les années 1960-1970, elle accueille des combattants de la liberté d’un peu partout, y compris les Black Panthers étatsuniens. En 1975, elle cède même une partie de son territoire au Front Polisario en lutte contre le Makhzen chérifien.

Aujourd’hui, l’esprit de la bataille d’Alger a été trahi. Cette Algérie universaliste a peu à peu laissé place à une Algérie de flen et felten. Les conquêtes de la guerre de Libération sont peu à peu bradées au profit d’une caste de cleptocrates proches du pouvoir. Les secteurs-clés de l’industrie sont vendus à des entreprises privées du Golfe, de Chine ou d’ailleurs. Les terres agricoles laissées aux petits paysans sont délaissées de sorte que de grands latifundiaires puissent les acheter au rabais et les mettre en jachère afin de mieux spéculer sur le prix de leurs productions. La jeunesse algérienne peine à trouver un travail décent et les biens de première nécessité se font de plus en plus chers. En un mot, l’Algérien moyen est à la solde d’une bourgeoisie parasitaire qui, au final, n’a fait que remplacer Moussa Hadj par Hadj Moussa.

Politiquement, tous les espaces de débats et de luttes sont verrouillés. Historiquement, le régime au pouvoir opère un révisionnisme historique des plus honteux. De lutte universaliste qu’était notre guerre de Libération nationale, il en fait une lutte nationaliste étroite ou l’inscrit dans une forme d’islam politique. Les contributions à l’indépendance d’Européens communistes et syndicalistes venus avec une tradition de luttes ouvrières est occultée de même que la participation décisive des communistes et du mouvement ouvrier de classe international dans l’appui actif à la lutte du peuple algérien.

C’est dans ce contexte que prend racine le mouvement du Hirak en 2019. Malgré une unité d’action et une combattivité exemplaires même devant les attaques d’un pouvoir corrompu, le mouvement ne faiblit pas. Néanmoins, sans perspective politique claire, il ne sait se rendre au bout de son potentiel. Il risque alors d’être dévoyé vers des intérêts qui cherchent à trahir le peu qu’il reste du caractère souverainiste de la Libération (défense du Sahara occidental, de la Palestine, de certaines nationalisations) au profit d’une démocratie libérale. Il risque sinon d’être instrumentalisé par une des castes de cleptocrates au pouvoir pour ses intérêts propres.

Dans les deux cas, les Algériens perdent au change. La seule façon de permettre d’exploiter le potentiel du Hirak, et de ce fait, de célébrer réellement les 60 ans d’indépendance est de changer de cap, de rompre avec le capitalisme à commencer, dans l’immédiat, la renationalisation de nos secteurs-clés de l’économie, l’industrialisation sous contrôle démocratique et social, la reprise et l’approfondissement de la réforme agraire, etc.

C’est ainsi que nous pourrons célébrer l’Algérie démocratique et populaire dans les faits et non seulement dans les discours. C’est pour elle que nos chouhadas se sont sacrifiés. Rendons-leur honneur en poursuivant leur oeuvre!